L’art d’insulter par écrit celles et ceux qui ne pensent pas comme soi sans qu’on y voie là une agression verbale est le propre des grands écrivains. Cet art de manier l’intellect et la plume pour faire comprendre une idée passe souvent par l’ironie.
Il faut rendre à Jean Panneton, prêtre, (texte ci-dessous) cette grande qualité d’homme de plume, très érudit en la matière. Il n’en ridiculise pas moins les tenants de la laïcité de l’État en les comparant à ce « preux chevalier dont le courage à vide n’en est pas moins sans grandeur ». N’est-ce pas là une tournure de phrase qui, ma foi du bon Dieu, tourne en dérision assurément les artisans de la laïcité étatique?
Évidemment, nous ne pourrions reprocher à un prêtre catholique des abus de langage. De plus, il faut rendre à César ce qui revient à César : Jean Panneton est un catholique pratiquant et valorise le cléricalisme de qui que ce soit.
Mais pourquoi donc faudrait-il banaliser la récitation d’une prière de l’Église catholique lors d’un festival western par une ministre d’un gouvernement ?
Une prière n’est qu’une expression d’une espérance ; cependant, elle s’adresse à un dieu tout-puissant et mystérieux d’une religion dite universelle. Voilà le problème : pourquoi demander à une représentante d’un gouvernement (lequel se dit neutre sur le plan confessionnel) de réciter ce qu’un représentant de ladite religion aurait dû faire ? Ne consacre-t-elle pas ainsi l’adhésion du gouvernement à cette croyance religieuse ?
Si l’organisation du festival western est d’allégeance catholique et veut la démontrer à la face du monde, pourquoi ne pas demander à l’évêque du diocèse de venir bénir ses rodéos ?
Imaginons qu’il en aurait été ainsi ; n’aurions-nous pas fait l’amalgame que la religion catholique est pro-western et qu’elle bénit l’exploitation des bœufs et des chevaux pour le plaisir des humains ?
Il faut savoir pardonner à la ministre Boulet, comme à celui qui n’y voit là que peccadilles d’enfants de chœur. Mais que devrait être la pénitence de la ministre ?
Je ne pense pas qu’il existe de valeureux laïcistes en mal de crucifier une nouvelle salvatrice des peuples. Si la ministre Boulet a agi innocemment, nous devons lui donner l’absolution complète. Elle devrait cependant faire acte de contrition et promettre de ne plus recommencer ; ce qui ne semble pas être son intention. Mais si son geste était réfléchi et volontairement en faveur de la religion catholique de Rome par sa représentation ministérielle, oui, il y a là un accroc à la laïcité de l’état du Québec.
Les entreprises religieuses, quelles qu’elles soient, n’ont plus à demander aux représentants de l’État de venir bénir leur exploitation touristique. De même pour les représentants de l’État : ils n’ont plus à se prêter aux religions pour glorifier leur apostolat. Ce temps est révolu ; désolé pour les croyants.
Ici au Québec, notre histoire catholique et amérindienne a laissé beaucoup de reliques, lesquelles essaiment, encore aujourd’hui, jusque dans l’administration publique des municipalités.
Qu’une entreprise privée fasse sa prière avant de sauter sur son cheval pour gagner sa croute, personne ne la ridiculisera ; mais qu’elle demande à une ministre de réciter pour elle une prière d’une religion qui a beaucoup fait contre l’émancipation des femmes et des peuples, n’est-ce pas cautionner une entreprise dont l’exploitation de l’humain et de l’animal demeure douteuse quant au respect de ceux-ci ?
La laïcité est aussi une question de foi : de foi en l’humain pour bâtir un monde meilleur. Ce changement demande un vertueux effort.
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Texte de Jean Panneton, prêtre (10 décembre 2017)
Un accroc à la laïcité ?
Don Quichotte de la Manche fut un chevalier sans peur et sans reproche. Monté sur son destrier, bardé de pied en cap, il partit en guerre, épris d’exploits.
Tout impatient de foncer sur un ennemi, qui ne se présentait pas, pour assouvir sa rage belliqueuse, le preux s’élança contre un moulin à vent qui s’agitait sur une colline. Point question de dénigrer ce brave chevalier. Son courage à vide n’en est pas moins sans grandeur.
En tout respect, je comparerais la conduite de certains valeureux laïcistes à celle de ce brave Don Quichotte. Comme lui, ils sont fébriles, impatients de prendre l’Église ou au moins un catholique en flagrant délit de cléricalisme ou d’anti-laïcisme.
En fait, pour le meilleur ou pour le pire, qui, en 2017, au Québec, pourrait relever de tels crimes ?
On comprend l’impatience de certains radicaux, disciples attardés de Gambetta et de Combes, qui disposent d’un arsenal de beaux principes pour un grand débat de laïcité, commis par une autorité religieuse.
Quelle déception d’avoir entendu le pape Jean-Paul II déclarer en présence de l’épiscopat français : « La laïcité fait partie de la doctrine sociale de l’Église » ! Le débat est-il clos ? Faut-il ranger les armes ?
Plutôt, comme Don Quichotte le fit, concentrer son agressivité sur un adversaire fictif. En d’autres termes : faire d’un petit incident, un drame. Et alors partir en campagne et crier au scandale. « Sa peccadille fut jugée un cas pendable », a déjà dit le sage La Fontaine. L’intransigeance, la lettre plutôt que l’esprit, autant d’attitudes qui ont changé de camp.
Qu’une petite prière ait soulevé, non chez les milliers de spectateurs, mais parmi une certaine élite intellectuelle, un tel émoi, démontre que le combat pour ou contre la laïcité est en mal de cause véritable.
Ce petit accroc à une laïcité frileuse fut-il un crime abominable ? Il n’y avait pas là à faire ruer un cheval, les quatre fers en l’air !
Retenons l’exemple de la France. La cinquième République, instaurée par De Gaulle en 1958, s’est déclarée un État laïque. Cette république, d’une laïcité exemplaire, n’en investit pas moins, chaque année, plusieurs millions pour la conservation et la restauration des nombreuses cathédrales françaises. Ces temples prestigieux sont exclusivement affectés au culte catholique.
Faut-il y voir un accroc de taille à la laïcité ?
Une telle dérogation à une laïcité pure et dure serait impensable, ici, au Québec.