Archive for décembre 2023

« C’est dans l’temps du jour de l’an… » 29 décembre 2023

décembre 29, 2023

Depuis la tricherie officiellement reconnue par le premier constructeur automobile au monde, les tricheurs n’arrêtent pas de s’additionner : après Volkswagen, voici Cummins, et maintenant, Daihatsu. Et oui, après les Allemands, voici les Américains ainsi que les Japonais : ils reconnaissent avoir triché eux aussi aux tests de sécurité. L’adage dit bien : «faute avouée à moitié pardonnée»; mais il y a cette autre maxime populaire née probablement au temps des fêtes où nous chantions que c’était «… le bon temps d’en profiter»… La nouvelle règle c’est :

«Tout le monde le fait, fais-le donc!» 

Le problème, c’est que ça n’arrive plus qu’une fois par année : c’est maintenant la règle en tout temps de l’année.

Oui, en tout temps maintenant, c’est la règle du «Tout le monde le fait, fais-le donc.». 

Si le monde est dirigé par les plus fins, rien ne dit qu’ils ne soient pas les plus fins malhonnêtes au pouvoir. Vous tous qui êtes installés au pouvoir de nos entreprises de tous genres, reconnaissez-vous que vous êtes des tricheurs qui n’ont pas encore été pris la main dans le sac?

Il le faudra bien puisque nos constructeurs de moteurs et de voitures reconnaissent eux-mêmes qu’ils sont des tricheurs et qu’ils suivent depuis déjà un certain temps la règle numéro 1 du pouvoir : tricher. C’est officiellement la règle numéro 1 au monde : pour être au pouvoir, il faut tricher, même si l’on se fait prendre!

Que vous soyez du monde capitaliste ou communiste ou coopératif ou syndical, sportif ou même du bénévolat et des religions, combien de fois sommes-nous restés bouche bée devant l’annonce de tricheries de la part de celles et de ceux en qui nous avions confiance pour leur intégrité personnelle et professionnelle, en qui nous attendions une action irréprochable, et qu’au contraire, on nous révélait des actes illégaux et immoraux? 

L’honnêteté semble être le lot des petites gens, des crédules qui pensent qu’on ne doit pas voler ni tricher ni mentir ni abuser…

Aujourd’hui, nous redécouvrons notre naïveté d’antan, encore pire que durant ces siècles de religiosité corrompue, de monarchie profiteuse et grandiloquente, de coopération bienveillante à sens unique pour privilégier une minorité, favorisée par ses dirigeants au discours pompeux.

Le plus désolant actuellement c’est que les tricheurs reconnaissent leur fourberie, payent les amendes et continuent fièrement d’abuser et de tricher : les lois, c’est bien connu, les tricheurs s’en contrefoutent totalement : leur pouvoir est au-dessus des lois. Ils sont les nouveaux dieux par leur formule divine et céleste de la tricherie haut de gamme.

Vivre en enfer des tricheurs devient de plus en plus la norme, et ce, PARTOUT sur la planète.

Alors, souhaitons-nous la Bonne Année, mais que Donald Trump ne redevienne pas en 2024 le président au pouvoir des tricheurs.

Bonne Année, tout le monde et que les abus des tricheurs cessent finalement pour arrêter cette inflation que nous payons depuis trop d’années, depuis trop longtemps.

L’amour, l’art d’aimer; conférence 2, 23 décembre 2023

décembre 23, 2023

Madame, 

Monsieur,

Je souhaite maintenant vous entretenir sur la question même de l’art et de l’Amour : 

Qu’est-ce que l’art d’aimer? 

Qu’est-ce que l’amour?

Qu’est-ce que l’art?

Mais avant, lisons ensemble ces courtes citations issues de Claude Frioux, qui signait l’introduction aux Oeuvres d’Anton Tchékhov de la Bibliothèque de la Pléiade, publiée aux Éditions Gallimard le 25 novembre 1967 :

«…Tchékhov en déduit que les grandes généralités oratoires utopiques et idéalistes ont fait plus de mal que de bien, en refusant de porter une attention aux détails concrets de la réalité, au profit de perspectives illusoires. …C’est en fin de compte au nom d’une passion humaniste assez semblable à celle de ses prédécesseurs que Tchékhov préfère aux apocalypses politiques et sociales la philanthropie directe, la lente démarche du progrès. Parce qu’il pense faire mieux qu’eux par cette voie tandis que les programmes des doctrinaires lui paraissent toujours contenir une part de mensonge et de leurre. 

Par là, le vérisme* sourcilleux de Tchékhov n’est pas seulement un trait de caractère, mais un principe d’action.»

Pages XVI et XVII

* École littéraire italienne de la fin du XIXe siècle, inspirée par le naturalisme français, ayant pour objet la représentation fidèle de la réalité quotidienne et des problèmes sociaux.

Une seconde réflexion de Claude Frioux sur cet auteur russe clairvoyant sur la condition humaine de ses compatriotes :

«…Tchékhov s’écarte des messianismes à la mode qui promettaient le paradis pour demain à condition de suivre à la lettre leurs recettes. Mais il veut dire aussi qu’il ne peut y avoir d’harmonie réelle de la vie humaine si chaque individu, indépendamment de sa condition, n’a pas acquis un minimum de maturité spirituelle, n’a pas élaboré d’abord pour lui seul un minimum de dignité, d’élégance et de délicatesse. Or, étant donné la grossièreté générale, “asiatique” du monde où il vivait et qui, à tous les échelons de la société, du paysan à l’intellectuel, heurtait Tchékhov plus encore que les injustices ou les mauvaises structures, ce résultat demandait nécessairement beaucoup plus de temps qu’un quelconque coup d’État ou de grâce. 

Il exige aussi une méthode particulière : inciter chacun à s’imprégner volontairement, assidûment, courageusement de certaines valeurs essentielles. C’est pourquoi Tchékhov attribue une telle importance à la culture, à la civilisation, sous leurs formes les plus concrètes. C’est pourquoi il voulait développer par tous les moyens les habitudes de réflexion, de lucidité, de finesse, l’instruction et l’esprit critique.»

Page XXIII

Une dernière qu’il vaut la peine d’écouter :

«Pour Tchékhov, c’est seulement par cette voie préliminaire toute personnelle de la conversion de chaque homme à l’idée et à la pratique de sa dignité que peut-être tenté un combat valable contre l’agression permanente de la mort pour lequel les idéologies toutes faites sont d’un secours insuffisant. Le sauvetage dernier ne peut être collectif. … Et les principes généraux d’organisation humaine les plus valables n’ont de chance d’aboutir que s’ils respectent et encouragent la maturation spirituelle des individus, sinon ils risquent de déboucher sur de tragiques chaos.  

Tchékhov affirme qu’aucun procédé de mécanique politique ou religieuse ne peut se substituer à cette ascension de chacun vers sa propre lumière.

… La philosophie de Tchékhov ne contredit pas les humanismes rationnels de la tradition. Il signale seulement les imprudences qui les menacent, les drames qui les dépassent. …Ainsi la morale sociale de Tchékhov, tout comme sa vision critique et idéale du monde, se distingue par son caractère existentiel. Elle rend à chaque moment l’homme responsable du surgissement de son destin.»

Pages XXIII et XXIV

*********************

Oserais-je vous dire que je me prends pour un médecin de la taille littéraire d’un Tchékhov? Absolument pas : jamais je n’arriverai à la cheville des réalisations de ce médecin altruiste.

J’ai aussi lu Henri Laborit qui m’a bien mis en garde de penser qu’un jour la société idéale sera réalisée : la société parfaite ne sera jamais; nous pouvons juste tenter de la parfaire, aussi docteur puissions-nous être, aussi idéaliste puissions-nous être : tenter d’améliorer ce qui est; voilà notre rôle à tout un chacun.

Et en tant qu’animal grégaire, aucune personne ne peut seule faire avancer la cause de l’humanité; c’est ensemble qu’il faut tenter; tous ensemble, sinon, il faut oublier l’effort à cette fin, et retourner qu’à l’espérance.

Mais arrive rapidement où l’espérance ne suffit plus : il faut agir, et pour nos sociétés du XXIe siècle, il semble y avoir une urgence d’agir.

Nos principaux maîtres à penser (parmi plusieurs autres) seront Erich Fromm, psychanalyste, André Comte-Sponville, philosophe, et Jean-Yves Leloup, théologien, philosophe et prêtre orthodoxe.

J’ai choisi volontairement ces penseurs parce qu’ils sont de ce temps-ci, contemporains, progressistes, évolutionnistes et réalistes.

Ces penseurs sont de terrain; ces personnes ont connu les épreuves de la vie et ont souffert suffisamment pour oser réfléchir davantage sur ce que bien d’autres avant eux avaient commencé à défricher pour tenter d’expliquer cette vertu essentielle de l’amour, cette force, cette puissance que tout un chacun, humain de cette planète, cherche à avoir, à recevoir, à donner et à maîtriser : la vertu de l’amour. 

De fait, depuis la nuit des temps et de l’évolution des consciences humaines, l’humanité cherche à comprendre la source de cet animal humain pas comme les autres. Nous pensons que l’humain est cette race animale capable d’arts et de vertus, dont la plus importante serait celle d’aimer, d’aimer son prochain comme soi-même, et d’aimer tout, croyons-nous!

L’amour comme un art: Erich Fromm

Erich Fromm a eu cette idée géniale de concevoir l’amour comme un art à pratiquer! Et à cette fin, il a commencé par décrire avec finesse d’esprit ce qu’est un ART.

Écoutons Fromm :

  • «L’amour est-il un art? En ce sens, il requiert connaissance et effort :
    1. la pratique d’un art exige de la discipline. Sans [celle-ci], la vie se dérègle, devient chaotique (…).
    2. Que la concentration [soit] une condition nécessaire à la maîtrise d’un art, il est à peine besoin de le démontrer. Ce manque de concentration apparaît clairement dans notre difficulté à être seul avec nous-mêmes.
    3. Un troisième facteur est la patience. Encore une fois, qui a essayé de maîtriser un art sait combien la patience est indispensable pour réaliser la moindre chose. Si l’on vise un résultat rapide, jamais on n’apprend un art. (…) pour l’homme moderne, la patience est aussi difficile à pratiquer que la discipline et la concentration. Notre système industriel tout entier s’oriente exactement dans le sens opposé : le sens de la vitesse.
    4. Finalement, une condition d’apprentissage de tout art est un suprême souci de maîtriser cet art. Si l’art ne revêt pas une importance exceptionnelle, celui qui est novice en la matière ne l’apprendra jamais.»

Par la suite, Fromm, Comte-Sponville et Leloup ont bien travaillé les conceptions de l’art et de l’amour en les détaillant avec suprême minutie et souci de maîtrise; c’est cette minutie que je pense que l’école secondaire doit plus que jamais enseigner à notre jeunesse qui ne demande pas moins de comprendre ce qu’est l’amour, sa pratique quotidienne et sa vertu comme un art. Et ce, incluant la mécanique des relations sexuelles, trop longtemps diabolisées, mais combien naturelles dans l’existence de chacune et chacun.

Avant d’arriver à Comte-Sponville et Leloup, terminons avec Erich Fromm sur l’art d’aimer :

– «Pour la plupart, le problème essentiel de l’amour est d’<être aimé> plutôt que d’<aimer>, d’être capable d’amour. 

– Une seconde prémisse sous-jacente à l’attitude selon laquelle il n’y a rien à apprendre sur l’amour revient à supposer que le problème de l’amour est un problème d’<objet>, et non un problème de <faculté>. Les gens pensent qu’il est simple d’aimer, mais qu’il est difficile de découvrir le <bon objet > à aimer – ou qui les aimera. (…) : c’est surtout l’amour romantique que l’on recherche (…).

  • La troisième erreur amenant à supposer qu’il n’y a rien à apprendre sur l’amour réside dans la confusion entre l’expérience initiale de <tomber> amoureux et l’état permanent d’<être amoureux> (…). Si deux personnes qui sont étrangères (…) laissent soudainement s’abattre le mur qui les séparait, et se sentent proches, se sentent une, ce moment d’unicité est une des expériences les plus vivifiantes et les plus émouvantes de la vie. (…) Cependant, de par sa nature même, ce type d’amour n’est pas durable. (…) L’intensité de l’engouement (…) ne fait que révéler le degré de leur solitude antérieure.
  • Quatrièmement (…) prendre conscience que l’< amour est un art >, tout comme vivre est un art (…) la musique, la charpenterie, la médecine, la mécanique.

– Cinquièmement, quelles sont les étapes nécessaires à l’apprentissage de tout art? (…) deux parties (…) : la maîtrise de la théorie et la maîtrise de la pratique. (…) Mais outre l’apprentissage de la théorie et de la pratique, il y a un troisième facteur nécessaire (…) l’art doit être l’objet d’une préoccupation ultime. 

 Le paradoxe de l’amour réside en ce que deux êtres deviennent un et cependant restent deux.» (Voir Comte-Sponville ci-dessous)

«(…) l’essence de l’amour est de < se donner de la peine > pour quelque chose et de < faire croître > quelque chose, que l’amour et le travail sont inséparables. On aime ce pour quoi l’on peine et l’on peine pour ce qu’on aime.» (Voir Sénèque ci-dessous) 

Ces premières réflexions sur le besoin pour tous d’apprendre l’art d’aimer et la pratique de la vertu de l’amour nous conscientisent davantage sur la nécessité de cet apprentissage dès l’âge de l’adolescence. Il est nécessaire et il répond à un besoin de base de tout humain pour le reste de sa vie; cet apprentissage favorisera cet équilibre psychique lequel équilibre sera mis à l’épreuve quotidiennement tout au long de la vie du futur adulte de demain, lequel cherche à comprendre ces mystères de la vie et de la mort et du bien et du mal.

Au fond, si la violence engendre la violence, le corollaire de cette maxime serait qu’une attention à l’autre puisse engendrer une attention, le respect puisse engendrer le respect.

À nouveau Fromm:

«Si j’aime l’autre personne, je me sens un avec elle, mais avec elle telle qu’elle est, non telle que j’ai besoin qu’elle soit en tant qu’objet pour mon usage. Il est clair que le respect n’est possible que si j’ai atteint l’indépendance, si je puis me tenir debout et marcher sans avoir besoin de béquilles, sans avoir à dominer et exploiter quelqu’un d’autre. Il n’y a de respect que fondé dans la liberté : (…) l’amour est l’enfant de la liberté, jamais de la domination.» 

Le Dr Scott Peck dans son célèbre chef-d’oeuvre «Le chemin le moins fréquenté; Apprendre à vivre avec la vie » nous mettait en garde vis-à-vis notre désir de comprendre l’amour :

«L’amour est trop grand, trop profond pour n’être jamais vraiment compris, mesuré, ou limité par les mots. Je crois [cependant] que l’essai en vaut la peine…

En essayant de l’expliquer, on l’a divisé en plusieurs catégories : Éros, Philia, Agapê, amour parfait, amour imparfait, etc. J’ai toutefois l’audace de donner une seule définition de l’amour tout en sachant par ailleurs qu’elle peut être inadéquate : l’amour, c’est la volonté de se dépasser dans le but de nourrir sa propre évolution spirituelle ou celle de quelqu’un d’autre.»

N’est-ce pas que nous sommes toutes et tous des artistes en herbe qui doivent apprendre les rudiments du plus vieux métier du monde (l’art d’aimer) et ainsi devenir compétents, maîtrisant l’alphabet de cet art d’aimer, sa pratique quotidienne, la vertu de l’amour? Définitivement, le psychiatre Scott Peck touche ici par sa définition de l’amour, l’aspect majeur de tout être humain à ce jeune âge de l’évolution : la volonté en puissance de se dépasser! Soi, comme être à réaliser, à actualiser.

Nos adultes de demain ne doivent plus ignorer cet art d’aimer, et ce, dès l’adolescence; c’est la source même de vie en tout : en relations humaines, vis-à-vis le travail, notre travail pour gagner notre vie, vis-à-vis nos engagements envers qui que ce soit, vis-à-vis l’environnement, la faune, la planète, la nature entière… et soi-même d’abord. Apprendre à aimer nous rend «libre» et surtout, heureux.

Martin Gray, citait Georges Bernanos en tout début de son livre, «Entre la haine et l’amour»; ce dernier rappelait : 

«On n’attend pas l’avenir comme on attend un train. L’avenir, on le fait.» 

Et n’oublions pas Sénèque :

«Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons; c’est parce que nous n’osons qu’elles sont difficiles.»

Et Fromm d’enchérir Sénèque en liant l’amour à sa réflexion :

«(…) l’essence de l’amour est de < se donner de la peine > pour quelque chose et de < faire croître > quelque chose, que l’amour et le travail sont inséparables. On aime ce pour quoi l’on peine et l’on peine pour ce qu’on aime.» 

L’amour comme LA vertu: André Comte-Sponville

Passons maintenant aux réflexions du philosophe français, André Comte-Sponville.

C’est en janvier 1995 que Comte-Sponville a publié son «Petit traité des grandes vertus»; il a réfléchi sur 18 vertus, consacrant ainsi en moyenne 21.5 pages par vertu; mais à celle de l’amour, il a consacré 94 pages (4 fois plus) soit le quart de son livre pour 1 seule vertu sur les 18 vertus recensées. N’est-ce pas que cela souligne l’importance et la complexité de bien apprendre sur cette vertu de l’amour, et l’art d’aimer?

Comte-Sponville, commence par nous définir ce qu’est une vertu : Une vertu, 

«C’est une force qui agit, ou qui peut agir. 

(…) la vertu d’un homme, c’est ce qui le fait humain, ou plutôt c’est la puissance spécifique qu’il a d’affirmer son excellence propre, c’est-à-dire son humanité.

La vertu (…) c’est notre manière d’être et d’agir humainement, c’est-à-dire notre capacité à bien agir.

Il n’y a pas de vertu naturelle.

La vertu répète-t-on depuis Aristote, est une disposition même à faire le bien. (…) Pas de Bien absolu, pas de Bien en soi, qu’il suffirait de connaître ou d’appliquer. Le bien n’est pas à contempler; il est à faire. Telle est la vertu : c’est l’effort pour se bien conduire…

Les vertus sonttoujours singulières, comme chacun d’entre nous, toujours plurielles, comme les faiblesses qu’elles combattent ou redressent.

Les vertus sont toujours nécessaires et toujours difficiles

Et Comte-Sponville de préciser ceci :

Quand l’amour est là (…), les autres vertus suivent spontanément.

Il y a une manière médiocre, égoïste, haineuse parfois de faire l’amour. Et il y en a une autre…, de le faire bien, ce qui est bien faire, et ce qui est vertu. L’amour physique n’est qu’un exempleL’amour, s’il naît de la sexualité, comme le veut Freud et comme je le crois volontiers, ne saurait s’y réduire, et va bien au-delà de nos petits ou grands plaisirs érotiques. C’est toute notre vie, privée ou publique, familiale ou professionnelle qui ne vaut qu’à proportion de l’amour que nous y mettons ou y trouvons. … Pourquoi travaillerions-nous, n’était l’amour de l’argent, du confort ou du travail?

On ne naît pas vertueux; on le devient. Comment? Par l’éducation…

il y a l’amour que l’on fait ou que l’on donne, et c’est action. (…) le père aime son fils, qui ne lui manque pas!… La plupart des pères apprendront… à l’aimer… tel qu’il est…»

 Le paradoxe de l’amour réside en ce que deux êtres deviennent un et cependant restent deux.» (Voir Fromm ci-dessus)

Et Comte-Sponville s’inspirant de Spinoza: 

«Ce n’est pas parce qu’une chose est aimable que nous l’aimons; c’est parce que nous l’aimons qu’elle est aimable. (…) (Voir Sénèque ci-dessus) ce qui vaut, c’est ce que nous aimons. Ce n’est pas parce que les gens sont aimables qu’il faut les aimer (ou que nous les aimons), c’est dans la mesure où nous les aimons qu’ils sont (pour nous) aimables. [Agapê ou la charité, ou la générosité] c’est l’acceptation joyeuse de l’autre, et de tout autre. Tel qu’il est, et quoi qu’il soit.»

Finalement, écoutons ce qu’a à nous apprendre Jean-Yves Leloup, prêtre orthodoxe sur notre inconscient :

«Dans l’évolution d’un être humain vers l’âge adulte arrive un moment où il accepte qu’à côté de ce dont il est conscient, il y a de l’inconscient et que cet inconscient quelquefois le domine, < lui fait faire ce qu’il ne voudrait pas faire > pour reprendre le langage de Saint Paul : < je ne fais pas le bien que je veux, je fais le mal que je ne veux pas.>»

Et Erich Fromm, psychanalyste d’ajouter :

«Dans la conception taoïste, comme dans les philosophies indienne et socratique, savoir que nous ne savons pas constitue l’échelon le plus élevé auquel la pensée accède. < Savoir et cependant (penser) que nous ne savons pas est (l’accomplissement) le plus élevé; ne pas savoir (et cependant penser) que nous savons est une maladie >.»

L’amour au delà de l’espérance: Jean-Yves Leloup

Jean-Yves Leloup a cette qualité d’homme qui ne se cache pas la vérité qu’il cherche :

«(…) dans la vie quotidienne, dans nos relations avec les personnes que nous rencontrons (…) il n’y a pas d’attitude juste, il n’y a que des attitudes qui s’ajustent! Nous avons sans cesse à nous ajuster à ce qui est présent, ce qui est juste à un moment ne l’est plus à un autre.

«Être triste ou ne pas être triste… là est la question, qui n’est pas question d’humeur, mais de volonté. 

L’espérance est le propre de l’homme libre, le désespoir, celui de l’homme soumis aux pesanteurs et aux délabrements de son histoire. (…) 

Désespérer, c’est ne plus vouloir.

L’espérance est bien un acte de volonté, une vertu, c’est-à-dire une force. La force qui parfois nous manque…

“S’il faut revenir quelque part, revenir à ce qui est, il n’y a pas d’autre chemin que l’attention, que celle-ci soit sensible, affective, intellectuelle ou spirituelle (…).

L’attention est alors un autre nom pour l’Amour, quand celui-ci ne se contente pas d’émotions ou de bonnes volontés, mais devient l’exercice quotidien d’une rencontre avec ce qui est, avec ce que nous sommes.” 

J’exprimais il y a quelques années que, dans notre urgent quotidien, nous oublions d’aimer!  D’autant plus que nous n’avons pas appris adéquatement l’art d’aimer. Nous sommes donc doublement inconscients dans notre agir à cause de cette vitesse de faire l’action, et de notre ignorance du pourquoi fondamentalement nous agissons. Nous sommes pressés d’agir, croyant bien faire, mais souvent inconscient de savoir si nous agissons bien et avec amour.

À nouveau Leloup;

«  Le drame de l’homme, c’est l’oubli de l’Être, le monde de l’absence, le monde de l’oubli.

L’attention est ici considérée comme un remède. (…) Elle nous fait revenir de cet exil qui est l’oubli de l’Être, plus encore elle nous fait revenir de l’enfer qui est absence de Miséricorde. (…) Le péché (…) est en effet (…) oubli de notre capacité d’aimer…

Quand j’ai lu Jean-Yves Leloup, j’ai eu cette question : 

Mais avons-nous un jour de notre existence appris à aimer?

Ma réponse fut spontanément NON! Il m’a fallu vivre ma crise de la quarantaine pour décider d’apprendre à aimer et découvrir qu’aimer était un art à apprendre, et que je n’avais jamais, à ce jour, appris cet art.

Écoutons de nouveau Leloup :

“Je n’appelle imbécile (et celui-ci peut-être très savant) que celui dont l’intelligence est arrêtée par ce qu’il sait, celui dont le désir est arrêté par ce dont il jouit, celui dont le regard est arrêté par ce qu’il voit. Ce regard trop plein < qui manque de manque >, incapable désormais d’espace pour voir (…).

L’espérance, c’est ce qui garde l’homme dans l’Ouvert, le désir non arrêté par ses jouissances, ses savoirs, ses pouvoirs. Cela ne va pas sans difficultés, mais cela va sans tristesse (…).”

Cette lecture de Leloup n’est pas sans me rappeler ironiquement Jean Gabin et son monologue chanté «Maintenant je sais» : 

Quand j’étais gosse haut comme trois pommes

J’parlais bien fort pour être un homme

J’disais, je sais, je sais, je sais… 

Cette chanson est un clin d’oeil à Socrate sous bien des aspects, dont celui de notre ignorance et de la nécessité de nous ouvrir à la connaissance, comme Leloup vient de nous y inviter. 

Et plus encore nous dit Leloup :

“On ne se suicide pas < à cause de l’espérance>, mais parce que nous a semblé insupportable le manque… Ce manque, qui est notre condition mortelle est aussi le lieu où peut s’éveiller l’inaliénable désir : (…) l’ouverture du moi à un < au-delà du moi> pour parler le langage de la psychologie transpersonnelle.

L’espérance dépend donc d’une certaine qualité d’ouverture du cœur et de l’intelligence.”  

“Un des drames de l’homme contemporain, c’est qu’il a perdu son coeur. Entre le cerveau et le sexe, il n’y a rien; quelquefois, quand même, une immense nostalgie(…), mais souvent on passe des analyses les plus froides aux débordements pulsionnels les plus inconsidérés. L’Homme devient ainsi de plus en plus schizophrène, ayant perdu le centre d’intégration, de < personnalisation > de son être : le cœur. 

L’intelligence sans cœur, < la science sans conscience > éclaire nos sociétés d’une lumière froide où l’homme < se gèle >, s’analyse et s’ennuie (…).

Une sexualité sans cœur n’est pas une sexualité vraiment humaine, (…) ce n’est que dans une relation de personne à personne que le plaisir bref peut se transformer en bonheur durable. < Dans le véritable amour > disait Nietzsche < c’est l’âme (personnalité et sensibilité unique de l’être) qui enveloppe le corps >.

C’est le cœur (…) qui peut orienter les découvertes de l’intelligence dans un sens positif à la vie de l’humanité. 

‘(…), l’essentiel est d’apprendre à aimer et à bien aimer (…).’ 

‘Saint-Basile (…) fait de l’attention à soi l’une des caractéristiques de la nature humaine : < l’attention est aux êtres raisonnables ce que l’instinct est aux animaux. > Il montre également que ce qui donne valeur et efficacité à une activité, c’est l’attention avec laquelle on l’exécute. (…) l’attention étant ce moment unique où peuvent se rejoindre l’intelligence et le cœur.’

Par cette dernière citation de Leloup, nous rejoignons Fromm et sa foi en l’homme qu’il peut et doit apprendre l’art d’aimer. 

Et c’est cette foi en soi même que je viens de tenter de vous convaincre pour les adolescents, à cet âge capital par où nous avons toutes et tous passé, à cet âge où notre conscience à notre inconscient commence son éveil.

L’espérance n’a plus pour moi cette puissance bien expliquée par Jean-Yves Leloup, mais je reconnais son existence; je ne peux donc pas l’ignorer dans l’apprentissage de l’art d’aimer; l’espérance est un ingrédient vital qui doit être bien dosé, qu’il faut apprendre à relativiser dans la composition et la conjugaison des étapes de la vie humaine.

Résumons : l’amour est don. 

Je termine cette conférence en nous attardant sur l’esprit du don; à cette fin je citerai encore Erich Fromm :

‘Qu’est-ce que donner? (…) Le malentendu le plus courant est de croire que donner, c’est < abandonner > quelque chose, se priver de, renoncer. […] 

Quant au caractère mercantile, il est prêt à donner, mais à la condition qu’en échange, il reçoive. (…) 

Les gens à orientation non productive ressentent le don comme un appauvrissement.

Pour un caractère productif, le don revêt une signification entièrement différente. Il constitue la plus haute expression de puissance. Dans l’acte même de donner, je fais l’épreuve de ma richesse, (…) et me remplit de joie. Je m’éprouve comme surabondant, (…) et [j’]exprime ma vitalité.

Non que soit riche celui qui ‘a’ beaucoup, mais celui qui donne beaucoup. (…) Quiconque est capable de donner de lui-même est riche.’ 

L’amour est don. L’amour “est” et non pas “a”. Et l’amour est don à soi d’abord (charité bien ordonnée commence par soi-même).

On n’a pas des amours ou des amis, on “est” amoureux de…, on “est” ami de…, on “est” en amour avec.… On ne possède pas des amis ou des amours; on “est” ami ou amoureux ou amant de.… La vertu de l’amour est synonyme d’être un être et non pas d’avoir un être.

L’amour ne possède pas; l’amour donne; même dans l’acte sexuel : je donne du plaisir à l’autre et l’autre me donne du plaisir : je reçois de l’autre son don de plaisir, lequel est le fruit du mien. Et de ce don, vivra la création d’un être, la création d’un peut-être (Jean-Yves Leloup).

Écoutons ce poème de Leloup : L’amour désespérément 

L’amour, désespérément

Oui,

L’Amour,

Désespérément

Puisqu’il n’y a rien d’autre

Qui vaille d’être vécu.

Nulle autre Réalité,

Et cette Réalité n’existe pas…

N’étant rien de ce qui existe

Elle est l’espace où tout peut exister

Peut-être…

L’Amour est le seul vrai Dieu

Qui ne soit pas une idole.

On ne peut le garder

Qu’en le donnant.

L’Amour est le seul vrai Dieu

Au Nom duquel on ne peut que mentir,

Puisque c’est une vérité que l’on n’a pas,

Que l’on n’aura jamais,

Et que l’on perd sans cesse en la cherchant…

Aimer Quelqu’un

C’est renoncer à l’avoir

Et dans ce renoncement

Il va,

Il ne peut que venir et passer.

L’Amour :

Ce qui arrive au ciel

Quand il se fait bleu…

Mais il n’y a de bleu “désespéré”

Il y a le beau temps

Qu’on n’attendait pas…

Jean-Yves Leloup, dans “Un art de l’attention” 

Jeunes adolescents, nous sommes tous des analphabètes de l’art d’aimer : nous ne savons même pas comment aimer nos amis, nous ne savons même pas aimer nos amours! Et nous ne savons pas, très souvent, comment s’aimer soi-même. Nous devons l’apprendre comme nous avons appris à lire, à écrire, à compter, notre métier et tout le reste.

La vie est souffrance nous enseigna le Bouddhisme; il faut donc apprendre à souffrir pour vivre bien; et donc apprendre à s’aimer, car s’aimer, c’est apprendre à souffrir pour vivre bien. La vie est belle pour ceux qui ont appris à souffrir et donc à s’aimer. Ainsi diminue cette souffrance de vivre. 

Il faut créer de la beauté et cette création est pour soi d’abord. Créer de la beauté, c’est pour soi d’abord qu’on fait cette œuvre; et créer de la beauté s’est s’aimer et aimer l’autre, car c’est aussi pour l’autre que nous faisons et tentons de créer de la beauté.

L’amour est don autant en amitié, qu’en relations sexuelles, qu’envers ses enfants, nos parents, les personnes dans le besoin, soi-même et même tout le reste, tel que la faune, l’environnement et nos possessions, notre propriété, toute la nature. Qu’est-ce que prendre soin de ses affaires, sinon de les aimer. 

Quand on dit “j’aime”, il faut se conscientiser qu’on a appris un art : celui d’aimer. 

Qu’est-ce qu’un art? Et qu’est-ce qu’aimer? Voilà le cœur de cette formation que tous les adolescents, filles et garçons, doivent recevoir d’une manière formelle et non plus de la manière actuelle, c’est-à-dire d’une manière informelle et sans cadre logique d’apprentissage et de la pratique. 

Dorénavant, quand une personne dira “je t’aime”, elle aura appris l’art d’aimer! Et elle se sera engagée à cette fin : s’engager envers qui et quoi que ce soit sous-entendra “action”, respect et soins, non plus simplement “passion” sans engagement, ou par simple sentiment ou par affection ou par un ressenti d’un moment. 

L’amour de soi sera le premier amour à bien circonscrire, car c’est le primordial : sans ce premier amour bien compris et appris comme un art et comme il se doit, tous les autres amours sont en péril et demeurent stériles, sinon mal conçus. 

C’est le tragique actuel de notre monde : on pense aimer, mais trop souvent on aime mal et même pas du tout. Il ne faut pas nous jeter la pierre, personne ne doit se ressentir coupable, car nous n’avons pas appris que l’amour était un art à apprendre, une vertu à posséder : nous ne savions pas et nous ne savions pas que nous ne savions pas. 

Nous ne sommes plus au temps des culpabilités à confesser; nous sommes maintenant et pour toujours à ce temps nouveau de l’apprentissage de ce qui “est”, et ce qui “est”, est à comprendre et à apprendre : c’est un art à pratiquer tous les jours pour en devenir un maître, pour maîtriser l’amour, le pratiquer tous les jours et être maître de soi.

****************

Il y a donc l’AMOUR DON pour recevoir en retour (don intéressé), et il y a l’AMOUR DON en pure générosité, sans rien attendre en retour.

Pour donner, il faut en avoir la capacité, le pouvoir de donner : nul ne peut donner ce qu’il n’a pas.

Est riche celui qui peut donner. 

L’amour don ou le don d’amour n’appauvrit que celles et ceux qui épuisent leur pouvoir d’aimer; le mariage égoïsme-altruisme doit donc s’équilibrer en permanence. Aimer n’est pas faire un martyre de soi.

L’amour étant DON, il y a donc nécessité de s’enrichir d’abord afin d’aimer et de donner ensuite.

Ainsi l’enfant reçoit jusqu’à l’âge de la préadolescence l’amour don de ses parents si ceux-ci ont reçu préalablement l’amour de leurs parents. C’est là une chaîne continuelle.

Au début de l’adolescence, l’enfant commence graduellement à avoir le pouvoir de donner ce qu’il a reçu en étant conscientisé à ce qu’il a reçu pour, à son tour, commencer à donner. Il doit continuer à recevoir, mais il doit commencer à donner. Il le ressent, mais sa conscience demande à comprendre son sentiment.

Au début, il pourra donner avec l’intérêt de recevoir en retour, mais rapidement, il prendra conscience que l’Amour a aussi cette dimension altruiste de donner à l’autre sans attendre de retour, sinon la seule affection ou l’appréciation mystérieuse et agréable de donner. Ainsi, pourra-t-il palper cette affection par les soins qu’il accordera à un animal domestique. Par la suite, il commencera à donner de l’aide à ses parents dans certains travaux et entretiens ménagers.

L’important à ce stade-ci de l’évolution spirituelle de l’enfant, c’est de le conscientiser graduellement à ces aspects et ces dimensions humaines de la vertu de l’Amour, celle qui rend l’être humain mature et libre, en route vers son humanisation, vers cet humanisme qui demande respect envers toute la création, sa personne incluse : les autres humains plus ou moins favorisés par la vie, par la nature, la faune, le monde végétal et minéral que la planète nous donne et dont il faut prendre soin.

L’amour demande effort et n’est pas seulement ce sentiment ou cette affection douce heureuse que nous ressentons lorsque l’autre nous aime : l’amour adulte mature est toujours un mouvement de réciprocité, même dans l’acte sexuel : il y a réception de plaisir et il y a don de plaisir. L’amour aussi noble soit-il est Don et Réception en alternance permanente jusqu’à mort s’en suive.

L’amour qui nous a été donné par nos parents (si cette chance nous a souri) fut donc d’abord une réception égoïste de leur don d’amour, mais par la suite, l’amour adulte mature doit devenir DON de soi à soi, DON de soi à l’autre et DON de soi envers tout autre. C’est là l’apprentissage de l’Amour. 

Et celui-ci ne s’épuise jamais, car il sait recevoir et donner en réciprocité, la source même d’aimer son prochain comme soi-même. 

Je vous remercie de votre écoute,

François Champoux, Trois-Rivières

Novembre – Décembre 2023

L’amour, l’art d’aimer; conférence 1, 23 décembre 2023

décembre 23, 2023

Madame,

Monsieur,

Je ne viens pas vous rencontrer en tant que parent ni en tant que grand-parent; je viens vous rencontrer en tant qu’enfant.

J’ai eu la chance d’avoir de bons parents; mais ça, quand j’étais enfant, je ne le savais pas. 

Cependant, certains enfants commencent à s’éveiller à cette réalité des bons ou des mauvais parents très tôt dans leur vie : et c’est par les abus sur leur personne, sur leur corps sexué qu’ils vivent l’incompréhension. Ces abus sont déjà vécus à l’encontre de leur volonté; c’est ce qu’on appelle un viol. Ils ne connaissaient pas ce qu’était que l’amour, ce qu’était d’être aimé par leurs parents, et voici qu’ils sont biaisés par ceux-là mêmes qui devaient leur montrer à aimer, leur montrer ce qu’était l’amour. 

Oui, j’ai eu la chance d’avoir de bons parents, et malgré cette chance, je n’ai jamais appris jeune ce qu’était l’amour. 

Avez-vous eu cette chance qu’on vous explique l’art d’aimer? En tout respect des bons parents que vous avez eus vous aussi, je ne pense pas qu’on vous ait enseigné la bonne façon d’aimer. Oui, en tout respect de chacune et chacun de vous, je pense que celles et ceux qui ont reçu une formation sur cet art d’aimer sont une exception. N’est-ce pas? 

Je n’ai pas reçu, moi non plus, cette formation pourtant élémentaire à tous les humains de la planète, cet animal à la fois capable d’amour jusqu’à son prochain, mais aussi capable de haine jusqu’à le tuer. Oui, l’humain qui grandit peut se retrouver dans ce spectre de l’amour jusqu’à la haine, mais rien ne le guide à savoir où il se situe dans sa façon de faire pour juger s’il sait aimer ou s’il ne sait pas comment accomplir cet art d’aimer. 

Je pense que nous ne sommes pas vraiment éduqués à cet art, pourtant très important à maîtriser jeune, et ce pour le reste de notre vie. Nous grandissons, pour la vaste majorité d’entre nous, plutôt biaisés, et aucun tuteur ne vient redresser notre croissance déviante. On apprend souvent très tard que les relations sexuelles ne sont qu’une partie de l’amour, et que l’amour dans sa globalité est beaucoup plus vaste.

J’ai un projet; oserais-je dire qu’il est fou? Non, pas du tout : j’ai la prétention de penser le contraire et qu’il est nécessaire! Il est cependant à orchestrer par une intelligence collective pour tous les élèves du secondaire. Quelle école privée ou publique veut être la première à introduire dans son cursus scolaire du secondaire, les premiers cours en bonne et due forme sur l’art d’aimer? C’est là mon défi et je le veux provincial sinon national et même mondial.

Si vous demandiez à votre enfant rendu à son développement physiologique et intellectuel des âges cruciaux de l’adolescence :

Qu’est-ce que l’amour?

Quelle réponse croyiez-vous qu’il vous donnerait?

Pensez-vous qu’il pourrait répondre à la question? Qu’il pourrait articuler une réponse cohérente et concise?

Personne dans sa vie n’a reçu une formation scolaire digne de ce nom sur l’art d’aimer durant son adolescence et toutes ses années des cycles primaire, secondaire et du collégial. Personne. Et pourtant, nous parlons ici de l’amour, du besoin humain le plus important et le plus nécessaire à la vie, et que toute personne ressent sans vraiment bien le circonscrire ni le définir avec justesse.

Souvenons-nous du message de Socrate (469 – 399 av. J.-C.) avant de boire la ciguë que l’autorité de sa ville lui avait ordonné de prendre : 

 «Je sais que je ne sais pas.» 

Cette maxime socratique a été reprise plus de 2000 ans plus tard par un mathématicien d’une renommée mondiale; Blaise Pascal (1623 – 1662) : 

«Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point.»

L’Amour, ce que nous avons le plus besoin, tout un chacun, durant notre vie, personne n’y a été formé adéquatement et formellement. Et nous l’ignorons trop souvent jusqu’à un âge avancé. Nous l’avons tous appris «sur le tas» (pardonnez-moi cette expression). 

C’est pour cela que je pense sérieusement que l’enseignement de l’amour (l’art d’aimer), doit se faire selon les règles de l’art. Et c’est urgent.

Nous sommes pratiquement toutes et tous des analphabètes de la matière scolaire la plus importante à posséder pour devenir une personne mature, humaine, et assumer, notre vie durant, les rôles que l’humanité nous commande et nous demande : aimer ce qu’on fait.

La maturité, nous croyons l’avoir, mais en réalité, ce n’est pas la maturité que l’âge adulte nous accorde; le développement physiologique du corps autour de 18 ans n’est pas la consécration du développement psychologique de l’esprit lequel nous classerait maintenant adultes et matures; le développement intellectuel et psychologique doit s’apparier, se marier avec le corps. La raison doit s’accoupler avec l’émotion, avec la passion afin d’équilibrer toute personne. C’est souvent, pour ne pas dire toujours, le travail de toute une vie. 

Cette situation de lacunes majeures est principalement due parce que nous n’avons pas reçu l’alphabet nécessaire ni la juste pratique à bien comprendre l’art d’aimer.

Plusieurs personnes meurent très âgées sans jamais avoir atteint la maturité. Pourquoi? Tout simplement parce qu’elles n’ont pas été formées à bien aimer dès leur jeunesse, par une formation adéquate sur l’amour, sur cet art d’aimer à maîtriser.

Qu’est-ce qu’aimer? 

J’y reviendrai plus en détail lors de ma seconde conférence, mais je me dois de vous transmettre cette première réponse à cette question qui nous taraude toutes et tous.

1-) AIMER, c’est AIMER soi d’abord : s’aimer avec nos qualités et nos défauts.

2-) AIMER, c’est AIMER l’autre ensuite, c’est-à-dire son prochain comme soi-même! Comment aimer les autres si d’abord on ne s’aime pas soi-même?

3-) AIMER, c’est AIMER tout autre : son voisin, son travail, sa maison, la planète, l’environnement, la faune, etc.

Il faut avoir lu André Comte-Sponville et son chef-d’oeuvre «Le petit traité des grandes vertus» pour commencer à saisir à la fois la complexité et la simplicité de l’Amour que ce philosophe considère la plus importante des vertus, laquelle rassemblerait toutes les autres.

Il faut avoir lu Erich Fromm et son chef-d’oeuvre «L’art d’aimer» pour découvrir qu’effectivement AIMER est un ART à APPRENDRE dès l’ADOLESCENCE. Pour pouvoir exercer tout art, il faut d’abord apprendre ce qu’est un art! Et les rudiments de l’art d’aimer, l’art du plus vieux métier du monde, l’art de la vertu de l’amour, l’école secondaire doit nous y initier! 

Il faut avoir lu Scott Peck et son chef-d’oeuvre «Le chemin le moins fréquenté; apprendre à vivre avec la vie» pour commencer à s’éveiller vraiment à ce besoin et cet art à maîtriser par une discipline quotidienne : l’amour, aimer.

Il faut avoir lu Jean-Yves Leloup et son chef-d’oeuvre «Un art de l’attention» pour consolider cet art de l’attention à soi d’abord et à l’autre ensuite (en bon ordre), lequel art de l’attention est ni plus ni moins celui d’aimer : avoir de l’attention envers soi-même d’abord et envers l’autre ensuite, envers tout autre ensuite et toujours; c’est un art de vivre pour la vie.

Ce ne sont là que quelques personnes parmi des dizaines d’autres qui se sont penchées sérieusement sur l’art d’aimer.

Mais voilà : on ne l’a pas appris personne, sinon, trop souvent par cette méthode des ESSAIS-ERREURS. L’alphabet de l’amour doit aussi s’apprendre d’une manière ORCHESTRÉE, adéquate, et ainsi passer par la suite sa vie durant à pratiquer cet art correctement et avec harmonie.

C’est comme la marche, le vélo, l’arithmétique : il faut acquérir la capacité de l’art pour pouvoir l’exercer correctement et ainsi garder l’équilibre sa vie durant. Car les épreuves ne manqueront pas tout au long de cette vie pour apprendre à souffrir et donc apprendre à aimer… soi d’abord. L’amour, c’est beaucoup d’ouvrage et ce n’est pas seulement ce sentiment, cette affection envers quiconque ou envers quoi que ce soit.

L’adolescence est l’âge majeur pour apprendre l’amour et favoriser éventuellement la maturité du fruit humain. Avec cet art en main et cet éveil adéquat de l’esprit aux choses de la vie, l’enfant s’élèvera à sa maturité dès ses premières années dans ce monde des adultes. Il ne piétinera plus pendant des décennies à chercher à comprendre ce qu’est l’amour. Et à l’arrivée du mitan de la vie (la crise de la quarantaine) ou celle de sa transition vers ces autres étapes, il saura mieux conjuguer le tout, et ainsi toujours donner un sens à sa vie, un sens à la vie.

Il y a quelques années, le Québec avait le record mondial du taux de suicide chez les adolescents! 

Lisons ce texte du journaliste de Radio-Canada, Vincent Maisonneuve :

«Par le passé, le Québec avait l’un des taux de suicide chez les jeunes les plus élevés dans le monde. Est-ce que la situation a évolué au cours des dernières années?

Dans les années 1980 et 1990, le taux de suicide chez les jeunes hommes au Québec était très largement supérieur à la moyenne canadienne. Au milieu des années 1990, on a atteint au Québec une pointe de 40 suicides par 100 000 habitants, alors que la moyenne nationale était d’environ 10 suicides par 100 000 habitants.

Le taux de suicide chez les jeunes de 15 à 24 ans au Québec était alors parmi les plus élevés dans le monde. À l’époque, certains chercheurs montraient du doigt l’éclatement de la famille, le manque de soutien offert aux adolescents et leurs difficultés à s’imaginer un bel avenir.

Au cours des 30 dernières années, le Québec a multiplié les efforts en matière de prévention et de sensibilisation. Depuis 2000, le taux de suicide chez les jeunes Québécois a baissé de manière importante. Il rejoint aujourd’hui la moyenne nationale.» (5 décembre 2017)

Une autre source d’information à considérer sur l’état des jeunes nous vient de l’ex-députée de «Québec Solidaire», Mme Catherine Dorion qui nous rapportait ceci dans son livre «Les têtes brûlées» (page 229 – 230, LUX Éditeur, 4e trimestre 2023) :

«Le tiers des étudiants au Cégep souffre d’anxiété et le cinquième de détresse psychologique. 

La moitié des élèves du secondaire rapportent des symptômes prononcés d’anxiété ou de dépression et la prescription d’antidépresseur a explosé chez les moins de 17 ans : 260 % d’augmentation en quinze ans. Et chez les aînés, la prise d’antidépresseurs a récemment augmenté de 56 % en quatre ans.»

De Xavier Savard-Fournier; «Près d’une personne sur deux se dit anxieux au Québec, 

Radio-Canada, 2 août 2019;

De Ariane Lacoursière, “Quand l’anxiété ronge les jeunes” 

La presse, 2 octobre 2022;

De Martin Lasalle, “Taux préoccupant de symptômes d’anxiété et de dépression chez les jeunes du secondaire”, Université de Montréal Nouvelles, 7 juillet 2022.

Chez les 15 – 29 ans, le suicide est la deuxième cause de mortalité (OMS, 30 mars 2017).

À ces données, faut-il répéter ce que nous avons tous entendu à l’automne 2023 en termes de violence contre nos enseignants dans une école primaire? N’est-ce pas que ces faits nous interpellent et nous commandent une action constructive pour un avenir meilleur?

Je ne saurais dire aujourd’hui où nous nous retrouvons comme société civilisée qui permet le suicide de ses enfants et de ses membres adultes; cependant, je peux affirmer à la suite d’Albert Camus et de son oeuvre (“Le Mythe de Sisyphe”) que le suicide est toujours “le seul problème philosophique vraiment sérieux”.

Il faut considérer cette situation collective comme grave et réagir sérieusement. Nous devons entreprendre un début de renversement d’une situation qui le commande sans équivoque. Nous devons tenter d’éradiquer la détresse humaine et d’abord celle de nos enfants.

J’ai dernièrement perdu un ami d’enfance par suicide; après avoir connu une carrière enviable et grandement réussie, il tomba dans une profonde dépression qui l’amena à commettre l’irréparable. Nous sommes toujours toutes et tous consternés, jeter par terre, devant la violence de ce geste contre soi-même. Évidemment, la maladie nous guette tous ainsi que la fin de notre vie. On ne peut éviter la fatalité, et ce malgré un art d’aimer bien acquis. 

Certes on ne connaîtra jamais tous les dédales d’un tel acte de suicide : la complexité de l’être humain doit nous enseigner la vertu de l’humilité devant le mystère de la vie et de la mort.

De plus, la société parfaite n’existera jamais (Henri Laborit), mais avec l’enseignement de l’amour comme outil dans tous les baluchons des adolescents, la route de la vie et ses embûches sera mieux entreprise. La vertu de l’amour est cette puissance qui peut nous aider plus que tout autre, nous enseigne André Comte-Sponville : c’est LA vertu à posséder dès que possible et qu’instinctivement nous voulons toutes et tous.

Il est impératif d’enseigner l’art d’aimer si nous voulons que nos enfants s’élèvent adéquatement au-dessus de l’ignorance socratique et ainsi pratiquer tous les autres arts que la vie leur commandera d’apprivoiser.

L’amour, l’art d’aimer, est un besoin essentiel à la vie qui est ressenti dès l’âge de raison. Et dès ce jeune âge (le primaire), l’enfant commence à sortir de sa coquille égoïste pour palper graduellement la nécessité du mariage à l’altruisme. Sans ce mariage heureux, convenable et pertinent entre l’ego et l’autre, le sens de la vie trébuchera sans cesse sur les épreuves et les embûches inévitables.

L’amour, l’art d’aimer n’est pas une faculté ni un sentiment inné à chacun; certes, nous ressentons tous ce besoin, cet appétit, mais nous ne savons pas comment pratiquer adéquatement cette faculté; il doit être bien conscientisé et cerné, bien appris pour être bien pratiqué. 

L’amour, l’art d’aimer est un langage qui doit s’apprendre pour bien le pratiquer.

L’amour, l’art d’aimer, c’est comme tout art; il faut l’apprendre en priorité et le pratiquer pour le maîtriser; sans cette routine, nous risquons de claudiquer toute notre vie et même de chuter de façon tragique…

N’allez surtout pas penser que l’enseignement de l’amour rendra le monde parfait; la perfection n’est pas de ce monde, mais j’ai cette conviction que l’enseignement de l’art d’aimer sera certes une révolution qui rendra ce monde meilleur.

Oserais-je dire que j’ai foi en cet art? Qu’il doit être enseigné pour favoriser l’apprentissage de tous les autres arts? Oui, assurément; je vous le confirme.

Je vous remercie de votre écoute,

François Champoux, Trois-Rivières

Novembre 2023

« La Mouette » (1895-1896) d’Anton Tchékhov (1860 – 1904)

décembre 16, 2023

Voilà! Après avoir vu cette pièce le dimanche 10 décembre 2023, jouée par une troupe de comédiens amateurs de Trois-Rivières, je viens de terminer sa lecture.

Je suis à nouveau impressionné par la puissance d’analyse des sentiments humains que Tchékhov fait à travers l’ensemble de ces personnages; il nous met en face de notre propre gestion de nos amours de jeunesse ainsi que ces autres sentiments qui en découlent : haine, colère, désespoir, égoïsme, mépris, blessure à notre amour-propre éprouvé, la trahison, l’altruisme… Le retour vers soi-même est magistral.

Écoutons Tchékhov :

«J’écris La Mouette non sans plaisir, bien que je me sente terriblement en faute quant aux conditions de la scène… C’est une comédie avec trois rôles de femmes et six rôles d’hommes. Quatre actes, un paysage (une vue sur un lac); beaucoup de discours sur la littérature, peu d’action, cinq tonnes d’amour.»

Pendant les répétitions de La Mouette au théâtre Alexandrinski, à Petersbourg, en 1896, Tchékhov essayait d’expliquer aux acteurs les nouvelles exigences de sa pièce : 

«… L’essentiel, mes amis, — leur disait-il — c’est d’éviter le théâtral… Il faut que tout soit simple… Tout à fait simple… Ce sont là des gens simples, ordinaires…»

J’ai retenu quelques passages :

Troisième acte

La jeune Nina (qui souhaite devenir comédienne pour la gloire) est follement amoureuse de Trigorine (un écrivain devenu célèbre); elle lui fait le présent d’un médaillon sur lequel elle lui a fait graver le titre d’un de ses livres avec la référence suivante : «Si jamais tu avais besoin de ma vie, viens et prends-la.»

À la découverte de cet aveu de la jeune comédienne, Trigorine qui est l’amant d’une comédienne célèbre demande à sa maîtresse d’être une amie pour lui et de lui rendre sa liberté. La célèbre comédienne implore son amant de ne pas la martyriser…

Trigorine réplique :

«Quand tu le veux, tu peux être une femme pas comme les autres. Un amour jeune, charmant, poétique, qui vous emporte dans un pays de rêve – le seul amour qui puisse vous rendre heureux dans ce monde! Je n’ai encore jamais éprouvé un pareil amour… Quand j’étais jeune, je n’avais pas le temps, je faisais antichambre dans les salles de rédaction, je luttais contre la misère… Le voilà enfin cet amour, il est venu, il m’appelle… quel sens est-ce que cela a de le fuir?»

Son amante avec colère :

«Tu as perdu la raison!»

Trigorine:

«Tant mieux.»

L’amante : 

«Vous vous êtes tous donné le mot aujourd’hui pour me martyriser! (Elle pleure)»

Trigorine se prend la tête dans les mains :

«Elle ne comprend pas! Elle ne veut pas comprendre!»

L’amante :

«Est-ce que je suis déjà si vieille et si laide qu’on puisse sans se gêner me parler d’autres femmes? (elle met ses bras autour de Trigorine et l’embrasse.) Ah, tu es fou! Toi, mon admirable, mon divin… Toi, la dernière page de ma vie! (Elle se met à genoux devant lui.) Ma joie, ma fierté, mon délice (elle lui entoure les genoux de ses bras.) Si tu me quittais, ne serait-ce que pour une heure, j’en mourrais, j’en deviendrais folle, mon admirable, mon magnifique, mon maître…»

La suite est encore plus pathétique…

*****************

Passons à un autre amour, celui de Constantin, un jeune écrivain qui cherche sa voie. Il est follement amoureux de Nina, mais celle-ci préfère Trigorine. Dans ce 4e acte de la pièce, nous sommes deux ans plus tard, et nous réalisons que Nina, malgré les épreuves de la vie, trouve tranquillement sa voie…

Après avoir hésité durant une semaine, Nina rend finalement visite à Constantin qui ne l’espérait plus.

Constantin avec émotion :

«Nina! Nina! C’est vous… vous… On aurait dit que j’avais un pressentiment, toute la journée j’avais une terrible angoisse au coeur. (il lui prend son chapeau et sa pèlerine) Oh, ma bonne, ma chérie, elle est venue! Ne pleurons pas, non il ne faut pas pleurer.»

Nina, le contemple avec attention

Constantin:

«Oui… Vous avez maigri, et vos yeux sont devenus plus grands, Nina, cela semble étrange de vous voir. Pourquoi refusiez-vous de me recevoir? Pourquoi n’êtes-vous pas venue plus tôt? Je sais que vous êtes ici depuis bientôt une semaine… Plusieurs fois par jour, j’allais en ville pour essayer de vous voir, et je restais sous votre fenêtre comme un mendiant.»

Nina:

«J’avais peur que vous ne me haïssiez. Je rêve toutes les nuits que vous me regardez sans me reconnaître. Si vous saviez! Depuis que je suis arrivée, je viens sans cesse rôder par ici… près du lac. J’ai été plusieurs fois tout près de votre maison; et je n’ai pas osé entrer. …» (Après avoir cité Tourguenev, Nina sanglote.

Constantin:

«Nina, voilà que vous recommencez… Nina!»

Nina:

«Ce n’est rien, cela me soulage… Il y a deux ans que je n’ai pas pleuré. Hier, tard dans la soirée, je suis allée voir dans le jardin si notre théâtre était toujours debout. Il était là. Je me suis mise à pleurer pour la première fois en deux ans, et c’était comme si une brume s’était levée en moi. Voyez, je ne pleure déjà plus. (Elle lui prend la main) Ainsi vous êtes devenu écrivain, et moi actrice… Nous voilà, nous aussi, pris dans le tourbillon… Je vivais gaiement, comme une enfant, le matin en me réveillant je me mettais à chanter, je vous aimais, je rêvais à la gloire, et maintenant? Demain, à la première heure je partirai à Ieletz, en troisième… avec des paysans, et à Ieletz des marchands qui ont de l’instruction me poursuivront de leurs galanteries. La vie est grossière!»

Constantin: 

«Pourquoi pour Ieletz?»

Nina:

«J’ai signé un engagement pour tout l’hiver. Il faut que j’y aille, maintenant.»

Constantin:

«Nina, je vous ai maudite, haïe, je déchirais vos lettres et vos photos, mais à chaque instant j’étais conscient d’avoir mon coeur attaché à vous pour l’éternité. Ne plus vous aimer est au-dessus de mes forces, Nina. Depuis que je vous ai perdue et qu’on me publie, la vie m’est intolérable… j’ai mal… Ma jeunesse s’est brusquement évanouie et il me semble que je vis depuis quatre-vingts ans. Je vous appelle, je baise la terre sur laquelle vous avez marché; partout où je jette mon regard, je vois apparaître votre visage, ce sourire tendre qui a éclairé les meilleures années de ma vie…»

Nina, en plein désarroi;

«Pourquoi dit-il cela, pourquoi dit-il cela?… »

Constantin:

«Je suis seul, aucune affection ne vient me réchauffer, j’ai froid comme dans un souterrain, et tout ce que j’écris, tout est sec, dur, noir. Restez ici, Nina, je vous en supplie, ou permettez-moi de partir avec vous!»

Nina met précipitamment son chapeau et sa pèlerine.

Constantin:

«Nina, pourquoi? Pour l’amour de Dieu, Nina… (il la regarde s’habiller; un temps.)»

Nina:

«Pourquoi dites-vous que vous baiser la terre sur laquelle j’ai marché? Moi, il faut me tuer. Je suis si lasse! Si je pouvais me reposer, me reposer!  Je suis une mouette… Non ce n’est pas ça. Je suis une actrice. Mais bien sûr! (Elle entend les rires de l’amante de Trigorine, écoute, puis court à la porte de cache et regarde par le trou de la serrure.) Il est ici, lui aussi. (Revenant à Constantin) Mais bien sûr…

Ça n’a pas d’importance… Oui… Il ne croyait pas au théâtre, il riait toujours de mes rêves, et peu à peu moi aussi j’ai cessé d’y croire, et j’ai perdu courage… Avec ça, les soucis amoureux, la jalousie, la perpétuelle inquiétude pour l’enfant… Je ne savais pas où mettre mes bras, je ne savais pas me tenir sur la scène, je ne savais pas me servir de ma voix. Vous ne pouvez pas comprendre ce que c’est que de se sentir jouer atrocement mal. Je suis une mouette. Non, ce n’est pas ça… vous rappelez-vous, vous avez un jour tué une mouette? Un homme passait par là, il l’a vue et lui a pris sa vie, par hasard, par désoeuvrement. Sujet pour une petite nouvelle? Ce n’est pas ça… (Elle se frotte le front) Qu’est-ce que je disais?… Je parlais de la scène. Maintenant, je m’y prends déjà tout autrement… Je suis déjà une vraie actrice, je joue avec bonheur, avec extase, en scène je deviens comme ivre, et il me semble que je suis belle. Et maintenant, pendant mon séjour ici, je marche sans fin, et je pense, je pense, et je sens comme chaque jour grandit en moi une force… Maintenant je sais, je comprends, Constantin, que l’essentiel dans notre métier — que cela soit la scène ou l’écriture — l’essentiel, ce n’est ni la gloire, ni l’éclat, ni tout à quoi j’ai rêvé, mais de savoir supporter… Savoir porter sa croix et avoir la foi. J’ai foi et j’ai moins mal, et lorsque je pense à ma vocation, je n’ai pas peur de la vie.»

Constantin, tristement :

«Vous avez trouvé votre voie, vous savez où vous allez, tandis que moi je flotte encore dans un chaos de rêves et d’images, sans savoir pourquoi j’écris et qui en a besoin. Je n’ai pas la foi et je ne sais pas en quoi consiste ma vocation.»

Nina: 

«Chut-t-t… Je pars. Adieu. Quand je serai devenue une grande comédienne, venez me voir jouer. C’est promis? Et maintenant… (Elle lui serre la main) Il est déjà tard. Je ne tiens plus debout… Je suis épuisée, j’ai faim…»

Constantin:

«Restez, je vais vous apporter à souper…»

Nina:

«Non, non… Ne m’accompagnez pas, je trouverai le chemin… Alors elle (l’amante) l’a amené avec elle? Tant pis. Quand vous verrez Trigorine, ne lui dites rien. Je l’aime. Je l’aime même plus fort qu’avant… Sujet pour un petit conte… Je l’aime, je l’aime passionnément, je l’aime jusqu’au désespoir. …»

(elle se jette dans les bras de Constantin, et puis sort en courant par la porte vitrée.)

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Quelques pages auparavant à ce texte révélateur du cheminement que la vie nous commande toutes et tous de faire vis-à-vis l’apprentissage de l’amour et de la foi en soi, Anton Tchekhov nous fait méditer cette courte phrase :

Constantin parlant avec le docteur:

«…Comme il est facile docteur, d’être philosophe sur papier, et comme c’est difficile dans la réalité.»

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La Mouette est une fiction, certes, mais combien réaliste : nous avons tous à conjuguer la réalité de l’amour, de ses dérives, de ses déclinaisons quotidiennes, de ses directions avec nos orientations personnelles de genre et d’attributs. L’amour, c’est ben d’l’ouvrage, même en amitié.

Je me demande pourquoi Tchékhov parle de cette pièce comme une comédie? Peut-être voulait-il nous faire voir la tragédie de la vie comme une comédie…

J’oubliais de vous dire qu’après le départ de Nina, Constantin se suicidera quelques minutes plus tard.

L’ironie de cette histoire sur l’importance du respect de l’amour-propre : j’apprends ce matin le suicide de la fille d’une de mes connaissances de jeunesse; elle avait 45 ans, souffrait d’anorexie et avait 3 enfants.

Le monde à l’envers?, 13 décembre 2023

décembre 13, 2023

Pouvons-nous interroger nos dirigeants sur les dons qu’ils accordent à des entreprises privées? 

Il semble de plus en plus qu’il ne faut pas s’insurger contre le fait même que nos élus nous taxent allègrement pour redistribuer le fruit de notre exploitation fiscale (ou autres…) au bénéfice des capitalistes en mal de rentabilité!

Nous avons tous en mémoire ces millions versés par notre gouvernement à Bombardier pour sa «C Series» qui tardait à se vendre, et qui a finalement été racheté à prix dérisoire par le cousin français Airbus; la belle affaire pour les actionnaires français, n’est-ce pas?

Ici, à Trois-Rivières, l’église catholique de Rome a vu son fonds de roulement bénéficier de la somme de 360 000. $ par le budget municipal de la ville, tous les ans, pendant 20 ans pour son tourisme religieux.

Ailleurs, comme à Saint-Paulin, on a vendu à la municipalité l’église du village pour 1,00 $, refilant ainsi l’entretien de la bâtisse à tous les citoyens, croyants comme les non-croyants. Et l’on s’apprête à faire de même à Yamachiche! La belle affaire pour les actionnaires de la foi catholique de Rome, n’est-ce pas?

À ma Caisse d’économie solidaire Desjardins, ce sont les 22 000 membres qui sont exploités comme des contribuables pour remettre le fruit de leur exploitation bancaire à seulement 300 membres entreprises choisies à la discrétion des dirigeants! Ils appellent ça faire de la banque autrement! Ni l’AMF, ni Le Mouvement n’y voient là matière à corruption; ils disent que c’est un «Projet coopératif»! La belle affaire pour les entreprises favorisées comme le journal Le Devoir, n’est-ce pas?

C’est en 1576 qu’est paru «Le discours de la servitude volontaire» écrit par Étienne de la Boétie; nous ne pouvons donc pas plaider l’ignorance face aux tyrans qui nous font croire et accroire qu’ils sont à notre service; plutôt au service d’une minorité favorisée, laquelle asservit la majorité : on appelle ça une oligarchie (ou une monarchie nouveau genre) laquelle use d’un autoritarisme dégradant où le pouvoir écrase et endoctrine tout un chacun qui n’ose plus critiquer ni même prendre la parole à l’encontre des directions qui gouvernent et humilient. 

Mais comme le pensait le jeune de la Boétie, ne serions-nous pas volontairement des abrutis abusés? Ou des abusés abrutis volontiers? 

La dernière en liste : payer 100. $ pour parler à un ministre! 

Un ex-conseiller municipal de Yamachiche m’a demandé le 5 novembre dernier combien je payais en taxe à la municipalité de Yamachiche (j’y suis natif) alors que j’assistais à leur présentation de leur unique projet pour devenir propriétaire de l’église (au coût de 1,00 $, comme à Saint-Paulin) et financer pour plus de 2 millions de dollars la transformation (conversion) en fromagerie (coop de solidarité) une partie de l’église? J’ai demandé depuis quand faut-il payer son droit de parole en démocratie.

Nous en sommes là! La démocratie a un prix et il est devenu en argent sonnant! Parlez-en aux lobbyistes; parlez-en à ce profiteur qui réclame 100. $ pour lui parler! 

On m’a enseigné qu’en démocratie, la parole était notre droit le plus élémentaire. La parole et donc notre pouvoir de penser par nous-mêmes! La démocratie a-t-elle encore des principes? Je pense qu’elle en a, mais qu’on les oublie volontairement!

Nous faudra-t-il une nouvelle révolution, nous faudra-t-il à nouveau écrire un discours, ou trancher des têtes? La démocratie et la transparence de nos dirigeants devront-elles se négocier sur la place publique afin de découvrir qui sont les tricheurs, qui sont ceux qui abusent hypocritement, et qui sont les profiteurs officiellement? 

En système capitaliste et en démocratie, il doit y avoir plus de clarté sinon, aussi bien revenir officiellement à la tyrannie de la dictature et nous taire.

J’ai la nausée de penser que notre monde marche en envers; essayez de marcher sur la tête, vous découvrirez d’où vient la nausée.